Pourrait-on nourrir toute l'humanité par l'agriculture biologique ?

L’incapacité de l’agriculture biologique à nourrir, seule, l’humanité est l’un des principaux arguments de ses détracteurs. Le raisonnement est le suivant. Les rendements en agriculture biologique sont plus faibles qu’en agriculture conventionnelle. Pour produire la même quantité d’aliments, il faut donc davantage de surface. Or les surfaces agricoles sont limitées donc l’augmentation de la production alimentaire nécessaire n’est pas possible. Mais ce n'est pas si évident…

Des rendements souvent intéressants

En moyenne, dans les pays occidentaux, les rendements de l’agriculture biologique sont effectivement plus faibles (20 à 30 %). Mais il existe une très forte disparité selon les cultures et selon la région géographique. Certains agriculteurs bio arrivent à faire aussi bien que leurs homologues conventionnels par exemple en maraîchage (production de légumes) ou en arboriculture fruitière.

Dans les pays en développement, l’hétérogénéité est encore plus forte avec des rendements en bio qui peuvent dépasser de 80 % les parcelles recevant des intrants de synthèse (engrais et/ou pesticides), souvent en mettant en œuvre des pratiques agroécologiques. Pour le blé par exemple le rendement moyen en bio en France (40 % plus faible qu’en conventionnel) est comparable avec le rendement mondial tous types d’agriculture confondus (3,5 t par hectare). Les marges de progression du rendement dans les pays en développement sont importantes. Les rendements en céréales d’une ou deux tonnes par hectare ne sont pas rares et peuvent a priori être doublés ou triplés par des pratiques agroécologiques sans (ou avec très peu) d’intrants de synthèse.

L’argument concernant les surfaces limitées peut également être discuté. En France, 70 % de la production de céréales sont destinés à l’alimentation animale, tandis que des surfaces importantes de prairie ont subi la déprise agricole de la fin du XXe siècle. À l’échelle mondiale, 30 % de la biomasse alimentaire produite n’atteint pas l’estomac du consommateur. Il existe par ailleurs des réserves de terre cultivables disponibles qui seraient utilisables sans atteinte à la biodiversité (en Afrique tropicale, en Amérique du Sud, en Australie notamment). Ces trois arguments suggèrent qu’il existe des possibilités de réorganisation de l’utilisation des sols agricoles permettant d’accroître la production en agriculture biologique sans atteindre les rendements maximum obtenus par l’agriculture conventionnelle.

Depuis une vingtaine d’années, plusieurs études indépendantes affirment qu’il est possible à l’agriculture biologique de produire suffisamment pour toute l’humanité. Néanmoins, cela nécessite souvent des conditions difficiles à réaliser : réduction mondiale de la consommation de viande, réduction des pertes et gaspillages, reconception des systèmes agricoles à toutes les échelles. Par ailleurs, pour limiter l’expansion des bioagresseurs qui résulteraient d’une moindre utilisation des intrants de synthèse, l’adoption de pratiques agroécologiques (rotations longues et diversification des cultures principalement) paraît indispensable.

Samuel Rebulard, ingénieur agronome, agrégé de sciences de la vie et de la terre, enseignant à l’université Paris-Saclay

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